Punie par Junon, Écho ne peut plus désormais que répéter les
dernières paroles de la voix qu’elle entend. À peine Narcisse, errant
au fond des bois, a-t-il frappé ses regards, qu’elle s’enflamme et suit
discrètement la trace de ses pas ; plus elle le suit, plus son cœur s’embrase,
pareil au soufre qui attire soudainement la flamme qui l’approche.
Que de fois elle voulut l’aborder d’une voix caressante ! Son destin lui oppose
et lui défend de commencer ; mais du moins, puisque son destin le permet,
elle s’apprête à recueillir les accents de Narcisse, et à lui répondre à
son tour. « Y a-t-il quelqu’un près de moi ? » s’écrie Narcisse — « Moi »,
répond Écho. Immobile de surprise, il tourne ses regards de tous côtés.
« Viens », dit-il à haute voix ; « Viens », dit la nymphe à celui qui l’appelle.
Il se tourne, et comme personne ne vient : « Pourquoi me fuis-tu ? » dit-il,
et son oreille recueille autant de paroles que sa bouche en a proféré.
Trompé par l’illusion, il insiste : « viens ici et réunissons-nous ». À ces mots,
les plus doux que sa bouche puisse redire, Écho répond : « Unissons-nous » ;
et, charmée par ses propres paroles, elle sort de la forêt et veut enlacer
ce cou tant espérés ; mais Narcisse se dérobe et fuit ses embrassements.
« Je veux mourir, dit-il, plutôt que d’être à toi ! ». Écho ne redit que ces
paroles : « être à toi ! ». La nymphe dédaignée s’enfonce dans les bois,
et va cacher sa honte sous leur épais feuillage.
: Les métamorphoses, Ovide
Gertrude, Maurice, Felix, Lise Cheriez, Égérie Ferrus - 1908
Hermione, Tobias, Anne, Héloïse - 2020
Famille Lemercier - 1935
Marie-Laure, JF, Gérard et Bob - 1997
Hermini, Alix, Andrée, M. et Mme Deroo - 1895
Toute mon adolescence, j'ai entendu parler des personnages de la Recherche,
persuadée qu'ils étaient des oncles ou des cousines que je n'avais pas
encore rencontrés, dont on rapportait les bons mots exactement comme on citait
les saillies dans les dîners en ville de personnes réelles desquelles
il m'était impossible de les distinguer. (...)
Dans ce mélange superficiel de mondanité et de littérature, j'ai vu des duchesses
illettrées se moquer du snobisme de Proust et de sa fascination pour l'aristocratie ;
j'ai entendu des propos dégoulinants d'antisémitisme dans la bouche de gens
très distingués qui adoraient les Rothschild et passaient leur temps à fustiger
la vulgarité de Mme Verdurin ou à célébrer le goût exquis d'« Oriane »,
comme si elle venait de sortir du salon.
J'ai fini, vers l'âge de vingt ans, par lire À la recherche du temps perdu.
Aborder la Recherche, on le sait, provoque chez la plupart des lecteurs et des lectrices,
même les plus accomplies, à quelque âge que ce soit, une série d'émotions spécifiques.
On s'y attaque comme à une forteresse, on s'y lance comme dans une expédition,
en prévoyant tout un été, voire une année entière pour arriver au bout du voyage.
Pour aucune autre œuvre l'expression « s'en faire toute une montagne » ne paraît plus
appropriée. De la chronique mondaine à laquelle elle avait été honteusement réduite,
la Recherche s'élevait, fabuleuse, dense et tournoyante comme une spirale
qui m'évoquait la tour de Babel de Brueghel l'Ancien,
cette tour ouverte sur le monde et la nature, bâtie sur une masse rocheuse
où s'intègre l'architecture, où à chaque étage une multitude de personnages,
détails minuscules ramenés à l'échelle, vaquent à leurs occupations*.
Non seulement ce monument littéraire n'était pas le fort imprenable dont on m'avait
menacée, mais il formait l'espace intelligent qui invitait à tourner sans fin,
entrer, sortir, grimper, redescendre, emprunter tous les escaliers et arpenter
tous les couloirs du Temps.
Ce livre immense m'enchantait comme un kaléidoscope dont chaque mouvement
révèle des figures et des combinaisons insoupçonnables, des mondes infinis.
Il m'autorisait, surtout, à relire le réel sous un autre jour.
L'énorme supériorité de Proust par rapport à une classe sociale infatuée et inculte
m'a saisie de façon inoubliable, en me révélant la plus libératoire des identifications
symboliques, qui se vérifierait à toutes mes relectures :
les gens qui m'entouraient étaient, stricto sensu, des personnages de Proust.
: : Proust, roman familial, Laure Murat
Isabelle, Yves, Suzan et Donald Cheriez - 1959
Nestor, Milou, Haddock, Dupont, Dupond, Tintin, Castafiore,
Lampion, Tournesol, Irma - Moulinsart - 2024
Tonnerre de Brest, comme le temps passe !
(J'ignore qui est l'auteur de ce tableau de famille).
Alice, Anne, Hermione, Daphnée, Claire, Héloïse, Candice - 2018
Françoise, Pierre, Antoine et Marcelle Boyer,
été 1954
Christiane, Catherine, Richard, Claudine, Sylvain, Claude - 1964
Alice, Daphnée, Candice, Claudine, Hermione, Héloïse - Mai 2024
L'âne magistrat ou allégorie innocente.
Décidément, les ânes ont tous les dons !
Hi han ! Hi han !
Impressionant ce que l'âne est capable d'exprimer
avec un vocabulaire, tout compte fait, assez réduit.
: Pomponius Atticus, à qui Cicero escrit, estant malade,
fit appeller Agrippa son gendre, et deux ou trois autres de ses amys ;
et leur dit, qu'ayant essayé qu'il ne gaignoit rien à se vouloir
guerir, et que tout ce qu'il faisoit pour allonger sa vie,
allongeoit aussi et augmentoit sa douleur ; il estoit deliberé de mettre
fin à l'un et à l'autre, les priant de trouver bonne sa deliberation,
et au pis aller, de ne perdre point leur peine à l'en destourner.
Or ayant choisi de se tuer par abstinence, voyla sa maladie guerie par accident :
ce remede qu'il avoit employé pour se deffaire, le remet en santé.
Les medecins et ses amis faisans feste d'un si heureux evenement, et s'en
resjouyssans avec luy, se trouverent bien trompez : car il ne leur fut possible
pour cela de luy faire changer d'opinion, disant qu'ainsi comme ainsi luy
falloit il un jour franchir ce pas, et qu'en estant si avant, il se vouloit oster
la peine de recommencer un'autre fois.
: Les Essais − Livre II
: De juger de la mort d'autruy
: Montaigne
Magaux par Jules Pinasseau - 1921
Nous sommes au dessus de l'anse Magaud près de Toulon.
En pélerinage, Raymonde et Raymond Pinasseau.
Vacances durant l'été 1954
Claudine au St-Clair, sur la place de Bonneville,
face à la pointe d'Andey.
Pélerinage pour ce nostalgique de JF
La pointe d'Andey, Haute-Savoie - Huile sur toile de Claude Pelletier - 1956
Enfin, nous avons vu le soleil se lever sur la mer,
et briller sur le Massachusetts ; dès lors l'atmosphère se clarifia
de plus en plus jusqu'au moment de notre départ, et nous avons
commencé à prendre conscience de l'étendue de la vue, et
de combien la terre, par sa largeur même, offrait une réponse au ciel,
et les villages blancs un pendant aux étoiles.
: Une marche au Wachusett - Henry David Thoreau - juillet 1842
Vallée alpine - Théodore Rousseau
Parmi ces montagnes, il en est qu'un souffle pourrait effacer,
tant elles sont légères de tons, tant leurs traits sont délicatement
tracés
sur le fond du ciel !
Qu'une petite vapeur s'élève, qu'une brume imperceptible
se forme à l'horizon, ou seulement que le soleil,
en s'inclinant, laisse gagner l'ombre, et ces montagnes si belles,
ces neiges, ces glaciers, ces pyramides, s'évanouissent par degrés
ou même en un clin d'œil.
On les contemplerait dans leur splendeur, et voici qu'elles ont
disparu du ciel ; elles ne sont plus qu'un rêve, un souvenir incertain.
: Histoire d'une montagne - Élisée Reclus
Mauricette, 1938, 1920, 1941, 1947, 1960, 1942, 1961
: À trente ans, donc, Furne ignore tout de l'amour,
aimer sans être aimé, être aimé sans aimer, ou donnant donnant,
aimer et être aimé cash, il n'a jamais entrepris les démarches nécessaires,
effrayé par la quantité de formulaires à remplir, nom, prénom, âge,
qualité, situation de famille, religion(s) et sport(s) pratiqués,
position politique, couleur préférée, livre de chevet, compositeur favori,
et quel peintre, voyages accomplis, voyages projetés, langues connues,
juste comprises, lues et parlées, juste lues, écrites et lues, juste parlées,
nombre d'enfants souhaité, de quel(s) sexe(s), dans quel délai, prénoms envisagés,
et maintenant cochez l'option retenue, la ville ou la campagne, l'été ou l'hiver,
le Nord ou le Sud, un chat ou un chien, l'opéra ou l'opérette, les cerises ou
les fraises, dreyfusard ou anti, le train ou l'avion, le rustique ou le moderne,
les roses ou les tulipes, la comédie ou la tragédie, le tact ou la franchise
— le tact est un petit gros en sueur, la franchise une grande maigre qui ne
s'épile jamais les jambes —, sommé de choisir, Furne doit reconnaître que
vous l'emmerdez bien un peu, mesdemoiselles, avec vos éternelles questions.
: Le caoutchouc décidément
: Éric Chevillard
Mauricette et Bob, un mariage sous l'occupation,
quelque peu précipité, pour éviter le STO - 1942
Bob raconte :
» Nous nous sommes mariés rapidement ce qui était un tour de force
à l’époque. Mauricette s’est débrouillée pour trouver du tissu pour sa robe
et, comme elle était modiste, c’est elle qui s’est faite sa tenue de mariée.
Mauricette voulait absolument, comme toutes les jeunes filles de l’époque,
faire un « beau mariage » même si c’était la guerre, avec une belle robe,
et l’église par tradition avec les grandes orgues.
Et nous y sommes parvenus ! Nous avions dit à nos parents : « débrouillez-vous
pour faire un repas de noce ». Ses parents et les miens ont cherché
partout où ils pouvaient des combines pour trouver de quoi faire un repas
un peu festif. «
Irruption de l’âne iconoclaste dans le cabinet d’un amateur d'art
Atelier anversois de Frans Francken (1581-1642)
À force d'humiliations les ânes se révoltent, c'est normal !
Mais qui faut-il soutenir ? Les ânes ou les arts ? Allez choisir !
: Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l'Amérique,
pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher
si les indigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s'employaient
à immerger des blancs prisonniers afin de vérifier par une surveillance prolongée
si leur cadavre était, ou non, sujet à la putréfaction.
Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du
relativisme culturel (que nous retrouverons ailleurs sous d'autres formes) :
c'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures
et les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier.
En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou
« barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes
typiques. Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.
: Claude Lévy-Strauss
: Race et Histoire
Rencontre avec Claude Levy-Strauss dans son bureau au Collège de France
: Déjà au déclin de l'âge,
je vois ma tête qui commence à blanchir ;
déjà les rides de la vieillesse
sillonnent mon visage ;
déjà ma vigueur et mes forces
languissent dans mon corps épuisé.
Si j'apparaissais tout à coup devant toi,
tu ne pourrais me reconnaître,
tant est profonde l'empreinte des ravages
que le temps m'a fait subir.
Toi aussi, qu'à mon départ de Rome
je laissai jeune encore,
l'idée de mes malheurs t'aura sans doute vieillie.
Oh ! Fassent les dieux que je puisse
te voir telle que tu es !
Que je puisse déposer sur tes joues flétries
de tendres baisers, presser dans mes bras
ton corps amaigri, et dire :
"C'est son inquiète sollicitude pour moi
qui l'a rendue si frêle !",
te raconter ensuite mes souffrances,
en mêlant mes larmes aux tiennes ;
Puisse la colère du prince s'apaiser bientôt,
et la mère de Memnon, de sa bouche de rose,
m'annoncer enfin cette heureuse nouvelle !
: Ovide - Les Pontiques
Lettre à sa femme, depuis son exil de Tomes,
sur les bords de la Mer Noire,
son lieu de relégation par Auguste.
Ovide y mourra en 17 ou 18 ap. J-C
Claudine, 1975, puis 1965, avec Richard et Catherine
Des rues de Lisbonne aux levadas de Madère
Claudine dans "Paul et Virginie" de Victor Massé - 2003
Tout mon sang rageusement aspire à des ailes,
Tout mon corps se jette en avant !
Je me laisse rouler par les cataractes de mon imagination !
Je piétine, rugis, et me précipite !
En écume éclatent mes désirs
Et ma chair est une vague qui se brise sur les rochers !
: Ode Maritime Fernando Pessoa
Cartes de vœux - Monica Jost
Dessin à la plume de Charles pour l'anniversaire d'Alix - 1904
Les vœux 1982 de Rolf Ibach
Les vœux de Lise et Gertrude à Félix - 1915
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Si La nuit rime avec la mort
l’oubli prouvera que tu as tort
Si la mort défie ton ennui
Ne lui cède pas ton âme et ta vie
À l’ennui, à la mort
À la vie, à l’envie
schizophrénique
hypothétique
Lorsque le masque tombera
Seule la ferveur restera
C’est impétueux, cette cérémonieuse envie de partir
Une illusion pour tes sourires,
Languir
Puis sourire
Le masque ne sied à ravir
Qu’à ceux capables de s’en démunir
Conversation masquée
Nadia Ben Slima, 2015
Pauvre âne !!!
Il n'y a que les ânes (humains) qui pensent que les ânes (animaux)
sont têtus. Mais non ! L'âne doit comprendre ce que vous voulez
lui demander. C'est tout. C'est tout bête.
Quant à la mule, c'est une autre affaire.
Laura Nadal, (1929)
la nièce de la femme du frère du grand-père de JF,
autrement dit, la fille de la sœur de Mayotte Robiot,
la femme de Maurice, lui-même frère de Gertrude, Lise,
Charles,
Félix et Roger, les enfants d'Égérie et Félix,
arrière-grands-parents de Gérard, Marie-Laure et
ce blanc-bec de JF. Ben oui, quoi !
Daphnée au moulin du Guidon - 2016
Portrait par Andrea del Sarto
Candice - Novembre 2023
Alice - Novembre 2023
Lili Elbe par Gerda Wegener - 1922
Voilà justement Mayotte Robiot, Maurice et ...
Les deux sœurs Hermione et Héloïse - Août 2023
OLGA, enlaçant ses sœurs :
La musique est si gaie, si encourageante, et on a envie de vivre!
Oh! mon Dieu! Le temps passera, et nous quitterons cette terre
pour toujours, on nous oubliera, on oubliera nos visages, nos voix,
on ne saura plus combien nous étions, mais nos souffrances se changeront en joie
pour ceux qui viendront après nous ;
le bonheur, la paix régneront sur la terre, et on dira du bien
de ceux qui vivent maintenant, on les bénira.
Oh, mes sœurs chéries, notre vie n’est pas encore terminée.
Il faut vivre ! La musique est si gaie, si joyeuse!
Un peu de temps encore, et nous saurons pourquoi cette vie,
pourquoi ces souffrances... Si l’on savait ! Si l’on savait !
Les trois sœurs - Anton Tchekov
Les trois sœurs Deroo, Alix, Andrée et Herminie - 1920
puis Herminie, Alix et Andrée - 1912
Les deux sœurs Cheriez, Lise et Gertrude - 1911
Les trois sœurs Naulet-Chériez Alice, Candice et Daphnée - 2016, 2019
Les deux sœurs Cheriez, Claire et Anne - 2016
Moufouli Bello - Sofia, Irawọ,
Acrylique sur lin,
200 cm x 160 cm, 2024
La vie, c’était simplement une barque
où elles appréciaient le bonheur de ramer ensemble.
Comme toutes les femmes de l’île, elles savaient
qu’affronter la houle faisait partie de leur sort.
: Celles qui attendent de Fatou Diome
Egérie Marie Joseph Philomène Ferrus-Cheriez - 1887
Avait-elle une ou plusieurs sœurs ?
Félix et Égérie - 1897
Bouquetière antillaise et deux autres femmes créoles
Agostino Brunias - Huile sur toile, 1769
Félix et Égérie, Lise et Gertrude... - Haïti, 1918
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